Situation de violence
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Témoignages

Ancienne hébergée, victime de violence conjugale

Je me suis mariée à 22 ans à un homme que j’aimais. Nous avions le projet de fonder une famille et quatre enfants sont nés de cette union. Nous étions confiants dans l’avenir qui durerait toute la vie.

Les années ont passé. Au début, je ne me rendais pas compte du comportement contrôlant ni de la jalousie maladive de mon mari. Ayant eu une enfance au pensionnat, j’ai grandi dans une famille un peu marginale. Je trouvais donc normale sa façon de se comporter. Je manquais de confiance en moi et une petite voix me disait que je n’étais pas heureuse, mais je ne l’écoutais pas. Les enfants sont arrivés. J’étais devenue une maman et il n’était plus question pour moi de les priver de leur père.

Je vivais de la violence psychologique et verbale. Combien de fois j'ai entendu : « T’es malade, t’es folle, t’as pas de bon sens, tu ne sais pas élever des enfants, t’es pas une bonne mère, tu ne sais pas faire à manger, tu dépenses MA PAYE! » Même pour ses propres enfants, il n’était pas d'accord sur des dépenses élémentaires de base : « T’as toujours besoin d’argent pour les enfants, ils n’ont pas besoin de linge, va au sous-sol de l’église pour les habiller!» J’avais mal à l’estomac lorsqu’arrivait le début des classes : vêtements, matériel scolaire, billets d’autobus. Je me demande encore aujourd’hui, comment j’ai pu faire pour passer au travers de cette période.

Des phrases comme celles-là, je les entendais souvent. J’ai connu les insultes, le ridicule, les menaces. Même devant mes amies, je vivais un contrôle au niveau de mes sorties. Je ne pouvais recevoir personne, l’argent étant toujours évoqué. Il me faisait même retourner à l’épicerie des achats faits si ça dépassait ce qu’il « m’autorisait » à dépenser. Je devais faire l’épicerie avec une calculatrice et, même ça, ça ne faisait pas. Un jour, je lui ai dit de la faire lui-même. C’était ce qu’il voulait.

Il avait, par surcroît, une fixation sur la religion. Je me suis vue imposée des pratiques religieuses, de même que pour les enfants, et contrôlée par celles-ci pour ces mêmes motifs. L’argent n’allait que pour l’église. Là, il n’y avait pas de prix! Combien de fois aurais-je aimé aller dans ma famille prendre un repas ou passer quelques jours, mais ça supposait de l’argent pour les déplacements, ma famille étant à l’extérieur.

Il m’était défendu de travailler : « Lorsqu’une femme commence à travailler à l’extérieur, c’est la fin du couple », me disait-il. J’ai passé outre cet interdit et quand je l’ai fait, il venait me surveiller avec les enfants parce que je travaillais de soir. Il était d’une jalousie maladive. Heureusement que j’étais déterminée à continuer. Il me disait : « Si tu veux travailler, vas-y par toi-même et paye ta gardienne ». Ce que j’ai fait.

Un exemple pour illustrer son mépris à mon égard : un jour j’allais travailler et il pleuvait. Il est passé à côté de moi, sans me faire monter. Alors, j’ai décidé d’apprendre à conduire même s’il n’était pas d’accord. J’ai même dû le menacer d’en parler à d’autres s’il m’en empêchait. Évidemment, j’ai dû payer mes cours avec l’argent que je gagnais.

En ce qui concerne la sexualité, je devais souvent avoir des rapports sexuels non désirés sinon il était de mauvaise humeur et nous en subissions les conséquences. Alors, je m’arrangeais pour que ça n’arrive pas et je cédais. Je devais même me coucher à la même heure que lui. La peur me tenaillait le ventre, car je ne savais jamais l’état dans lequel il arriverait de travailler. Content? Impatient? Enragé? Je l’ignorais.

Mes amies avaient peur aussi pour moi et elles devenaient impatientes. Si quelqu’un arrêtait me voir, je devais effacer les marques de pneus. Il fallait que je parle au téléphone dehors, car lorsqu’il arrivait de travailler il questionnait une de nos filles sur : qui avait téléphoné dans la journée, ce que j’avais dit, qui était venu à la maison. Ma mère qui se doutait de tout se mourrait d’inquiétude pour moi, demeurant au loin.

Un jour, il est allé vraiment trop loin, alors je lui ai dit que je partais, que c’était terminé. Il pleurait tellement que j’en suis devenue toute bouleversée. Mais je lui ai tout simplement répondu que si j’étais tout ce qu’il pensait de moi, je ne comprenais pas pourquoi il voulait d’une femme comme ça. Il devrait plutôt être content que je parte et que ça laisserait le champ libre pour une autre femme différente qui le contenterait en tout. Pour moi, ça faisait 15 ans que j’endurais, c’était assez.

J’ai fini par comprendre que jamais ça ne changerait, qu’il ne voulait pas se faire aider en consultant. Pour lui, il n’y avait que moi qui étais malade. Je dois avouer que j’ai tout fait pour sauver notre union et que ça m’a tuée. La dernière année a été particulièrement difficile. J’étouffais, j’avais peur, je ne vivais plus. J’ai découvert plus tard que j’étais une « sauveuse » que j’avais choisi d’épouser cet homme pour le sauver. Maintenant, il était le père de mes enfants. Je ne les priverais pas de leur père. Voilà pourquoi je n’ai pas été capable d’enlever ce père à mes enfants ayant moi-même été privée d’un père. C’est ainsi que je suis partie seule à La Maison La Montée, cette maison d’hébergement pour les femmes en difficultés comme moi. Mes amies ne se sentaient plus capables de m’aider. Là, je suis allée faire soigner mon âme démolie, mon estime de soi réduite à rien, mon intégrité brisée en mille morceaux.

Épuisée, malheureuse, j’étais à ramasser à la petite cuillère. Pourtant, j’avais honte. On appelait cette maison « La Maison des femmes battues ». J’étais anéantie, déprimée et sans argent. Je ne me sentais « pas normale », fille de pensionnat. Alors, je donnais ainsi raison à mon mari. Je vivais un sentiment d’échec total.

Longtemps par la suite, mon ex-mari m’a dominée même si je n’étais plus avec lui. Je me suis enlisée vers une longue descente en enfer. Encore aujourd’hui je travaille à remonter la pente. On dit que la convalescence est aussi longue parfois que la profondeur de la blessure! Je me rends compte, sans l’excuser, que cette blessure remontait bien au-delà de mon mariage, elle venait de mon enfance.

L’amour de mes enfants et de ma mère ajouté à la foi en la vie m’a permis de garder espoir. Je ne voulais plus me rendre complice de la violence, même si ça a été dur de partir pour que j’y mette un terme. Par ce geste, j’espère être un exemple pour mes enfants et mes petits enfants.

À La Maison La Montée, j’ai reçu et reçois encore beaucoup d’aide. J’y retrouve du soutien moral, de l’écoute. Je prends tout ce qui m’y est offert : groupe de soutien, ateliers de dévictimisation et de restructuration. J’y ai travaillé et travaille encore l’approche déculpabilisante (socialisation des femmes), approche qui met l’accent sur l’estime de soi, l’affirmation et l’autonomie. Tout ce que j’avais perdu depuis mon enfance. J’ai appris à cette maison comment me détacher de ce que je ne peux changer, comment agir sur mon présent. Pas à pas, petit à petit, année après année, les personnes qui y œuvrent m’ont aidée à me reconstruire, à être fière de ce que je suis, à retrouver la vraie femme que je suis, à reprendre le contrôle de ma vie et surtout, à garder LE GOÛT DE VIVRE ET DE CONTINUER.

Bref, à cette maison, je trouve un soutien émotionnel, mais c’est un travail de tous les jours. La lassitude ne m’a jamais quittée et comme bien des femmes, j’ai des moyens précaires, mais je respire beaucoup mieux et je me sens bien dans ma peau. Avec le temps, je me suis rendue compte combien j’avais accompli de belles choses. À La Maison La Montée, je fais partie d’une famille extraordinaire de femmes dont je suis fière. Nous sommes toutes des « survivantes de l’abandon », mais combien « VIVANTES »!

Anonyme

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Témoignage d’un proche

Il est 3 heures du matin, le téléphone me réveille. Au bout du fil, on m’apprend qu’un de mes beaux-frères est décédé. Suicide. On insiste pour que je descende de Jonquière à Charlevoix. À peine réveillé, je réfléchi lentement et je dis que je vais prendre le temps qu’il faut. Mais on insiste fortement. Finalement, je me prépare rapidement et je descends à Charlevoix. Deux heures de route ça permet de réfléchir. À tel point, que l’idée du suicide me porte à croire qu’il n’est peut-être pas seul. Presque au même moment j’entends à la radio meurtre suivi d’un suicide à Baie-St-Paul. Il n’en fallait pas moins pour que dans ma tête le lien se fasse rapidement. Je conduis d’une main, je pleure et frappe de l’autre main.

Arrivé en crise chez ma sœur aînée on essaie de me raisonner. Nous sommes consternés et il faut aviser nos parents. Étant le cadet de la famille c’est à moi que revient la tâche d’annoncer une telle nouvelle. On ne réfléchit plus, on agit comme des robots. La nouvelle nous frappe si fort qu’on sent comme une lame de couteau nous traverser le cœur et on se retrouve comme dans un univers qui n’a pas de sens. Finalement, l’annonce est faite aux parents. À ce moment tu vois un grand vide qui arrive dans leurs yeux. Tu viens de leur dire qu’un de leurs enfants est décédé et c’est un décès d’une grande violence. Nous sommes tous réunis et sans mots. Ayant fait appel au curé de la paroisse, c’est un peu de réconfort qui nous permet de vivre le moment présent. Comment accepter que ma sœur à 32 ans soit morte de deux balles d’un calibre 308? Les mots sont durs à entendre, mais c’est la réalité. Puis il faut annoncer la nouvelle également aux proches, oncles, tantes, amis… etc. On ressent un vide profond, une colère extrême qui cohabitent avec un sentiment de culpabilité et une grande tristesse. Pour moi c’est une sœur, une mère, une confidente, une amie que j’ai perdue. Si vite; pas le temps de se dire à quel point on s’aime. Il a réussi son coup, plutôt que de perdre sa femme, il a choisi de l’enlever à tous. Et oui, parce qu’il la trompait depuis un certain temps, ce 2 septembre 1987, elle lui annonce à l’heure du souper qu’elle le quitte, la situation a assez duré. Voilà l’élément déclencheur qui provoque une telle violence.

La famille devient fragile. On en parle les premiers jours. Les gens sont plus proches de nous. Puis, ça s’estompe; les gens après un certain temps nous en parlent de moins en moins, de peur de nous faire de la peine, ou de nous fragiliser davantage.

Pourtant, s’ils savaient à quel point en parler et en reparler est libérateur. Puis, chaque membre de la famille vit sa propre peine à sa façon dans son jardin secret. Les réunions de famille deviennent tristes, nous avons perdu le plaisir d’être ensemble parce qu’il manque quelqu’un. J’entends souvent ma mère nous dire : on ne rit pas comme avant; notre rayon de soleil n’y est plus avec son rire particulier. Elle était une grande ricaneuse.

J’admire aujourd’hui les membres de ma famille qui ont su survivre à cet événement. Quant à moi, cela aura pris 10 ans avant de faire en partie mon deuil. Une dépression majeure suivit d’une thérapie plus tard, la vie reprend son cours normal. Il m’aura fallu 12 autres années pour l’accepter et finaliser ce deuil.

Cette violence à l’égard d’un proche affecte les parents bien sûr, mais cela a un impact sur tous ceux qui gravitent autour de la famille. Aujourd’hui, on en reparle et l'on ressent encore que tous ceux qui ont connu ma sœur ont été affectés d’une façon ou d’une autre. Ça demeure un événement qui marque nos vies.

Quoi faire? Quoi dire? Pourquoi? Il ne faut surtout pas se rendre coupable. Aurait-on pu éviter l’événement? Je dis non. Le geste était prémédité et camouflé.

Et voilà, un tel événement nous porte à remettre en questions nos valeurs et nos croyances. Plus rien n’a de sens; comment accepter un meurtre? De quel droit quelqu’un peut-il choisir d’enlever la vie d’une autre personne? Il me faudra à moi et ma famille quelques années pour remettre en place un système de valeurs et de croyance. On ne voit plus la vie de la même manière et nous restons fragilisés. Ce n’est pas juste pour les autres la violence maintenant. Elle est autour de nous et elle se manifeste sous une forme ou une autre. Mais il faut en parler et dire non à la violence. Il faut s’éduquer et éduquer nos enfants à dire non à la violence à la moindre manifestation. Et puissions-nous espérer que dans le futur il y en aura de moins en moins.

Anonyme

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